1. Introduction
a. Présentation du guide
Vocation du guide
Ce guide a été publié dans sa première version en février 2021. Ses autrices ont constaté que la plupart des ressources sur l'écoconception de services numériques est destinée à des profils techniques tels que des développeurs.
L'ambition du guide est donc de synthétiser les bonnes pratiques de design en matière d'écoconception au sein d'une ressource structurée et ouverte à tous grâce à sa licence Creative Commons licence CC-By. Vous êtes donc libre de partager, modifier ou réutiliser ce contenu, sous réserve d’en citer les auteurs.
Ce guide a une visée réflexive plutôt que normative. Il pose des pistes de réflexion ainsi qu'une liste conséquente, mais non exhaustive, de bonnes pratiques. L’écoconception peut cependant amener des réflexions beaucoup plus radicales et long-termistes que celles proposées dans ce guide. De nombreuses pistes de réflexions et références sont disponibles dans la section 9. Aller plus loin dans la démarche.
Périmètre
Le guide traite du design de services numériques (sites web et applications mobiles principalement). Il n'aborde donc pas les sujets de print, packaging et autres branches du design. La communication et l'éco-branding sont abordés dans la partie Communiquer sans tomber dans le Greenwashing.
Bien que le guide se concentre sur les aspects environnementaux, il ne faut pas pour autant oublier que le secteur numérique génère de nombreuses conséquences sociales et psychologiques. Nous tentons donc de faire le pont avec l'accessibilité, l'économie de l’attention et l'inclusion. Toutefois, ces dimensions sont mentionnées à la marge car le sujet serait trop large pour être entièrement traité ici et la vocation de ce guide est de se concentrer sur les questions écologiques.
Public visé
Ce guide est avant tout destiné aux UX et UI designers. Néanmoins, tout concepteur de service numérique (chef de projet, développeur, product owner…) y trouvera matière et conseils.
Son ambition est de permettre à tout designer, quel que soit son niveau technique, d'initier une démarche d'écoconception. Nous souhaitons que chacun ait des clés pour agir à son échelle et initier une démarche d’écoconception.
Contributions et évolutions du guide
Le guide a vocation à évoluer et être enrichi au cours du temps grâce aux contributions de la communauté. Vous souhaitez y contribuer ? Rejoignez le channel #projet_ecoconception sur le Slack des Designers Éthiques.
Ce guide a été écrit sous la direction d'Aurélie Baton et Anne Faubry, designers d'expérience utilisateur, membres de Designers Éthiques, et avec l’aide précieuse de contributeurs et contributrices (Relecture et contributions). II est le résultat de la somme d'expertise, d'expérience et de recherche de designers et de professionnels du numérique engagés depuis plusieurs années dans l'écoconception.
b. Quels enjeux environnementaux ?
Le secteur du numérique a un impact environnemental très élevé :
- En 2020, il représentait 2,1% à 3,9% des émissions mondiales de gaz à effet de serre mondiales (Explications sur l'empreinte environnementale du numérique). Si on fait le parallèle avec le secteur des transports, l'empreinte du numérique se situe entre celles de tous les avions du monde (environ 2%) et de tous les camions du monde (environ 4%) (The Shift Project).
- Sa part d'émissions grossit très vite. L'ADEME estimait qu'elle pourrait doubler d’ici 2025 (estimation antérieure à la crise de Covid-19).
- Outre les émissions de Gaz à Effet de Serre dont on parle beaucoup, les impacts sont massifs sur la consommation de ressources (entre autres les métaux), d’eau, et d’énergie, lors de la phase de fabrication (Empreinte environnementale du numérique mondial).
- Il n'y a pas d'effet de substitution global. On entend parfois que le numérique permet de remplacer d’autres usages plus polluants (transport, biens de consommation…) et serait donc plus écologique malgré son empreinte. Or, depuis l’avènement du numérique il y a 30 ans, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté de manière exponentielle, malgré la dématérialisation de l’économie promise par le numérique (Publications du GIEC). Les impacts de ce secteur viennent simplement se cumuler aux autres postes d'impact environnemental.
L'écoconception agit sur plusieurs limites planétaires. Ainsi, quand on en vient à parler d'impacts environnementaux, il ne faut pas regarder uniquement les émissions de gaz à effet de serre mais l'ensemble des 9 limites planétaires. Les bonnes pratiques de ce guide prennent en compte d'autres impacts tels que l'utilisation d'eau douce, les modifications de l'occupation des sols, l'introduction de nouvelles entités dans l'environnement ou encore l'intégrité de la biosphère.
Pour prendre en compte ces limites, il existe des dispositifs d’évaluation internationaux et normés, tels que l’Analyse de Cycle de Vie (ACV) définie par les normes ISO 14040/44, ainsi que l’empreinte environnementale de produit ou PEF tel que définie par la Commission Européenne, Product Environmental Footprint (PDF - anglais).
Afin d’éviter ces effets contre-productifs et l’augmentation des impacts, il est crucial de privilégier une approche systémique (Lien avec le design systémique).
Pour aller plus loin :
c. Quel rôle pour le designer de service numérique ?
75% des impacts environnementaux du numérique surviennent lors de la fabrication des appareils (Empreinte environnementale du numérique en France - ARCEP). Or, l’obsolescence des terminaux est principalement causée par la couche logicielle : applications, sites web, logiciels, jeux vidéos... En effet, plus un service numérique est lourd, plus l’utilisateur aura besoin de renouveler son terminal pour un appareil plus puissant.
- Ainsi, en 30 ans, la durée de vie moyenne d’un ordinateur a été divisée par 3 (GreenIT.fr).
- En 2021, 37% des Français achetaient un nouveau smartphone parce que l'ancien ne fonctionnait plus correctement (lenteur, bug…) ou parce que le système d’exploitation n’était plus à jour (Baromètre du numérique 2021 - PDF).
Par exemple, le poids médian d’une page web est passé de 14 Ko en 1995, à 500 Ko en 2011, à 2,1 Mo en 2021 (HTTP Archive). Pour avoir un ordre de grandeur, le premier jeu vidéo Doom sorti en 1993 pesait 2,3 Mo. Il comportait pourtant du graphisme 3D, un gameplay de tir à la première personne, une dizaine d'ennemis différents, de la musique…
Le problème qui se cache derrière cette obésité des pages web est la puissance informatique requise pour faire fonctionner un service numérique aujourd’hui. Plus le service est lourd et les pages web complexes (taille du DOM), plus le nombre de cycles CPU et de la quantité de RAM nécessaires pour les générer sera élevé. Cela mène ainsi progressivement à un renouvellement forcé du matériel.
Le principal levier d’écoconception est donc la réduction de la consommation de ressources numériques (RAM, CPU) qui engendre une réduction systémique de tous les impacts environnementaux. En réduisant la consommation de ressources informatiques, on réduit ainsi l’obsolescence des équipements, qu’il s’agisse des équipements utilisateurs ou des équipements réseau ou serveur.
Les designers interviennent en amont des projets. Ils ont donc une place de choix pour réduire les impacts des services numériques qu’ils conçoivent et, par conséquent, l'obsolescence du matériel.
d. L’écoconception de services numériques
L’écoconception est une démarche d’amélioration continue qui vise à limiter les ressources informatiques. Elle intervient à 3 niveaux : terminal utilisateur, réseau et centre informatique (data center). Dans une démarche d’écoconception, on s’intéresse au service numérique dans sa globalité.
Les services numériques englobent les sites web, les applications mobiles, les logiciels, les API, les pilotes logiciels d'un matériel, les systèmes d'exploitation, les systèmes de recommandation…
Les recommandations des parties 1, 2, 3, 8 et 9 concernent tous les services numériques, tandis que celles des parties 4 à 7 sont plus spécifiques aux sites web et applications mobiles.
L’écoconception est une démarche standardisée (ISO - IEC 62430:2019).
L'écoconception est obtenue par une démarche de sobriété. L’impact du numérique sur l’environnement vient principalement de la fabrication des matériels informatiques. En éco-concevant les services numériques (applications, sites web ou encore logiciels), on permet leur fonctionnement sur des appareils anciens et des réseaux moins performants. Ainsi, les utilisateurs n'expérimentent pas un service « qui rame » et sont donc moins tentés de renouveler leurs appareils (smartphone, pc, tablette). On peut aussi utiliser plus longtemps les infrastructures existantes : réseaux, centres informatiques, etc. sans avoir à les remplacer ou à en ajouter.
Pour découvrir, les autres avantages de l'écoconception (notamment sociaux, financiers, légaux ou encore d'image), voir la section Convaincre les décisionnaires.