Retour d'expérience de l'atelier d'externalités pour le projet DiaLog

Autrice : Anne Faubry

Le design, discipline située en amont des phases de projet, est souvent à l'instigation de la création de nouveaux services et produits. Or dans un monde en perpétuel changement et aux interdépendances complexes, ces démarches bien intentionnées peuvent avoir des retombées néfastes et insoupçonnées. Bien qu'aucune discipline ne permette de prévoir l'avenir avec exactitude, le design systémique tente de relever les signaux faibles permettant d'anticiper les externalités négatives et de rediriger le projet vers un futur plus souhaitable. 

Dans une logique d'amélioration par itérations, Anne Faubry et Aurélie Baton, ont appliqué la matrice d'externalités (Méthode d'utilisation de la matrice d'analyse des externalités) à un cas réel afin d'en identifier ses limites et d'en proposer des améliorations. Ce sont ces découvertes qui sont partagées dans cet article.

 Un cas d'application réel : le projet DiaLog

Le projet DiaLog est un projet beta.gouv visant à faciliter l'intégration de la réglementation routière dans les GPS. En effet, à l'heure actuelle, les chauffeurs de poids lourds ne sont pas toujours informés des travaux et autres restrictions de circulation qui les concernent. Ils se retrouvent dans des culs-de-sac, bloquant ainsi la circulation et accroissant inutilement la pollution de l’air, ils s'engagent dans des zones d'affluence diminuant la sécurité routière pour les autres usagers, ou encore, ils utilisent des infrastructures inadaptées, les usant prématurément. 

L'ambition du projet DiaLog est de faire figurer les informations issues des arrêtés de circulation directement dans les logiciels de navigation utilisés par les chauffeurs de poids lourds.

Plus d'informations sur DiaLog : dialog.beta.gouv.fr

L'atelier de design systémique

En décembre 2022, les 5 membres de l'équipe projet DiaLog ont été rassemblés afin de participer à un atelier de Design Systémique animé par Anne Faubry.
Participants : 

  • Agent de la fonction publique travaillant sur le projet : Mathieu Fernandez
  • 2 UX/UI Designers : Aurélie Baton, Anne-Sophie Tranchet
  • Développeurs : Mathieu Marchois, Florimond Manca

L'atelier a duré 3 heures et s'est déroulé selon l'agenda suivant : 

  • Introduction - 10-15 mn
    Présentation du Design Systémique et de la méthodologie de l'atelier.
  • Matrice d'externalités - 35 mn
    1. Idéation individuelle sur les externalités positives et négatives du projet à court, moyen et long-terme. 
    2. Alimentation de la réflexion grâce à des articles de journaux sur le sujet imprimés à l'avance.
    3. Partage des idées en groupe.
    4. Vote sur les externalités ayant le plus d'impact
  • Idéation sur les solutions - 1h10
    1. Sur les externalités négatives et positives priorisées, imagination de solutions pour réduire les unes et accentuer les autres
    2. Définition d'un MVP sur la base des actions identifiées : projet pilote, fonctionnalités prioritaires, partenaires à privilégier.
    3. Vérification que chaque partie prenante y trouve son compte : définition de la valeur ajoutée que chacune y trouve.

Apprentissages sur la méthodologie

Le test de la méthodologie sur un nouveau cas réel (voir l'article de recherche sur le projet IsèreADOM) nous a permis d'identifier ce qui fonctionne bien et les limites de la méthodologie actuelle, de proposer des suggestions d'amélioration ainsi que des futures pistes d'expérimentation.

Ce qui fonctionne bien

Effectuer des recherches en amont et imprimer des articles journalistiques pour nourrir la réflexion. Idéalement pour un atelier de design systémique, toutes les expertises sont rassemblées autour de la table. Dans la réalité, il est difficile d'obtenir la disponibilité de parties prenantes appartenant à différentes organisations. Dans notre contexte, nous aurions idéalement rassemblé des chauffeurs de poids lourds, des représentants de collectivités locales et de logiciels de navigation. 

Afin d'éviter de laisser des angles morts, les enjeux de ces personnes peuvent être ramenés au cœur de la discussion via des connaissances collectées en amont. Dans notre cas, nous avions imprimé des articles de journaux portant sur de nouvelles législations, les conditions de travail des chauffeurs de poids lourds, la sécurité routière, la concurrence avec le fret ferroviaire… Ces contenus ont été jugés utiles par les participants.

Les participants ont apprécié l'alternance entre des phases d'analyse et de synthèse permettant de ressortir de l'atelier avec des prises de décision ou des actions concrètes. “On est ressorti avec des idées et solutions concrètes.”

Les participants ont fait remonter que la méthodologie permettait : 

  • un meilleur alignement de l’équipe à la sortie : les échanges transdisciplinaires sur le projet permettent de mieux comprendre les préoccupations de chacun et la façon dont chaque prisme métier voit la problématique.
  • un partage de connaissances : par exemple, les développeurs ont ainsi pu expliquer aux autres métiers les potentielles failles de sécurité qu'ils avaient identifié et la façon dont ils comptaient les résoudre.
  • une meilleure priorisation pour le MVP (produit minimum viable, définition) : la priorisation déjà effectuée a été mise à jour pendant les discussions permettant de ressortir de l'atelier avec un MVP mieux défini.
  • l'identification des externalités négatives : cybersécurité, enjeux de validation… La méthodologie force à réfléchir aux conséquences négatives qu’on peut autrement avoir tendance à oublier.
  • l'ingéniosité : la méthodologie permet de trouver des solutions en amont des problèmes. "Cela a fait surgir des problématiques et idées auxquelles on n’avait pas pensé."

Limites de la méthodologie actuelle

La catégorie "Comportemental" n'a pas été comprise par les participants qui ne l'ont quasiment pas remplie. Les externalités doivent être classées en 5 catégories parmi lesquelles celle-ci est restée la moins remplie. Bien que cela puisse être la conséquence du sujet traité par DiaLog qui présente peu d'externalités comportementales, on constate que le terme était porteur de confusion pour les participants.
→ Dans le Systemic Design Toolkit de Nahman, la catégorie "Psychologique" a été privilégiée, et elle peut en effet paraître plus claire.

Globalement les participants ont exprimé le besoin d'avoir un exemple rempli de matrice sous les yeux (sur un autre sujet que le leur). Cela leur permet de comprendre le type d'idées attendues dans la matrice et de ne pas oublier certains aspects, par exemple légaux, de santé et de sécurité, psychologiques…

Les participants ont rencontré des difficultés à placer les externalités sur une échelle de temps. "Demain" était compris littéralement alors qu'il faudrait peut-être le renommer en "D'ici 1 an" par exemple. A l'inverse, "Dans 10 ans" est un horizon extrêmement lointain que les participants n'avaient pas tendance à remplir.
L'échelle de temps pourrait être simplifiée en 2 catégories seulement : "D'ici 1 an" vs "Dans 5-10 ans".

Après avoir reçu 10 gommettes, les participants avaient du mal à se souvenir s'ils avaient bien mis 5 votes sur des externalités négatives et 5 votes sur des externalités positives. Contrairement à ce à quoi on pourrait s'attendre, ils ne votent pas d'abord sur l'un puis sur l'autre mais parcourent les post-its en votant au fur et à mesure sur ce qui leur semble le plus important.
→ Il faudrait donner à chacun deux couleurs différentes de gommettes pour les aider à se souvenir.

Pour certains effets négatifs identifiés (par exemple, les effets rebonds potentiels), il est difficile d’envisager des solutions ou pistes d’atténuation, ce qui peut créer une certaine frustration.
→ Il faudrait par exemple prévoir des points d’étape tout au long du projet pour vérifier l’état de ces indicateurs.

Suggestions d'amélioration

Lors de l'animation de cet atelier, nous avons anticipé certaines limites et testé quelques initiatives dont certaines ont été concluantes. 

Proposer une suite d'atelier pour aller du constat à l'idéation sur des solutions. Tel qu'il a été conçu (notamment à cause de contraintes de temps), l'atelier s'arrête sur l'identification à court, moyen et long-terme des externalités positives à renforcer et négatives à atténuer. Lors de notre atelier DiaLog, nous avons pu aller plus loin dans l'animation et effectuer une phase d'idéation pour éviter les externalités négatives identifiées et accentuer les effets des externalités positives. 

Prioriser les solutions pour délimiter un MVP. A partir des solutions identifiées, le périmètre du MVP a pu être affiné. Les préventions d'erreur à la saisie et les types de restriction à la circulation retenues ont ainsi été décidés. Enfin, nous avons vérifié que ce MVP créait suffisamment de valeur pour chaque partie prenante principale : collectivité, chauffeur et logiciel de navigation.

Futures pistes d'expérimentation

Nous souhaitons poursuivre nos travaux de recherche lors de futurs ateliers. Nous avons notamment recensé les points suivants à approfondir : 

Jeu de rôle : Afin de n'oublier le point de vue d'aucune partie prenante lorsqu'il faut recenser les externalités, les participants pourraient se voir attribuer un rôle dans la peau duquel ils doivent se mettre. Chacun recevrait une fiche avec les objectifs et préoccupations de son rôle, à la façon des Model United Nations. Ce mode de fonctionnement peut être particulièrement intéressant dans un contexte pédagogique par exemple, ou lorsque les participants sont nombreux et avec un profil similaire.

Design prospectif : Des ponts évidents émergent entre le design prospectif et le design systémique lorsqu'il s'agit de se projeter dans les externalités négatives à long-terme. Employer les outils de récit propres au design prospectif pourrait aider les participants à imaginer les conséquences de leur service.

Tarot cards of tech : Dans le cadre d'un service numérique, les Tarot Cards of Tech sont un outil très intéressant pour aider les participants à anticiper les externalités négatives. Cet outil open source propose des questions originales pour stimuler la réflexion : quel est le pire gros titre dont mon service pourrait faire l'objet ? quel est le comportement le moins écologique que mon service encourage ? etc. Les cartes pourraient être distribuées durant la phase d'idéation des externalités.

3 niveaux : Dans la version initiale de la méthodologie, il était prévu que les participants classent les externalités selon leur niveau d'impact : individuel, organisationnel ou sociétal. Retiré car trop complexe à faire simultanément au reste de l'exercice, cet aspect pourrait être réintroduit dans un format plus long de l'atelier. Les participants pourraient par exemple se répartir en 3 sous-groupes correspondant aux 3 niveaux et identifier ce qui les concerne parmi les externalités recensées. Par la suite, les solutions identifiées seront très différentes selon que l'on réfléchit à l'échelle individuelle ou sociétale.

Aller plus loin

Le design systémique vous intéresse ? Voici une liste de ressources sur le sujet.

Découvrir :

Appliquer :