7 - Conclusion, un petit mot commun
C'est bien beau tous ces retours d’expérience et ces statistiques mais comment ça c’est passé « pour de vrai » de notre point de vue d’organisatrices et d’organisateurs de cet événement à la configuration inattendue ? Pour essayer d’éclaircir cela j’ai pris le temps d’interroger chacun d’entre nous sur son vécu de l’événement en abordant trois thèmes : l’équipe, l’édition et le contexte.
L'équipe d’organisation est composée de Karl, Mellie, Dominique, Marie-Cécile, Nicolas et moi-même (Raphaël, qui rédige ce billet). Nous avons commencé à travailler sur cette édition d’EbyD (Ethics by Design) en Octobre 2019.
L’équipe
Je vais commencer par le plus simple, l’équipe ! En fait le fonctionnement de l’équipe était fluide d’un bout à l’autre de l’organisation. Comme le précise Marie-Cécile :
« Les discussions étaient toujours honnêtes, pragmatiques, les éventuels conflits ou dissensions étaient résolus dans l’intelligence collective et sans égos mal placés. C’était un bonheur, vraiment. »
Au-delà de ce constat, quelques éléments ont contribué à ce bon fonctionnement :
Les décisions sont prises au consensus ce qui évite de couper l’équipe en deux camps, un qui à raison et l’autre qui est déçu.
L’équipe partageait une même vision de ce que devait être l’événement, ou plus précisément des visions différentes mais complémentaires.
Des personnalités différentes mais complémentaires avec « une belle chaîne de compétence en T »
Un travail extraordinaire de Karl et Mellie qui n’ont pas compté leurs heures, même si « il fallait calmer Karl de temps en temps »
Une bonne écoute, avec des moments de débats supers agréables, sans avoir un avis tranché.
Ce bon fonctionnement a permis de refaire tout le programme, toute l’organisation en un temps record. À partir du moment où la décision a été prise de passer sur un format à distance, en mai à la fin du confinement, nous sommes parti.e.s sur une nouvelle dynamique avec beaucoup de choses à découvrir.
Retours à tiède sur l’édition
J'ai donc demandé à chacun « d’avouer » quel était son sentiment lorsque nous avons pris cette décision. Personnellement, j’ai espéré un long moment qu’on pourrait le faire à Lille comme prévu initialement. Nous avions prévu de prendre la décision à la fin mai, mais nous avons été tenté.e.s de la prendre plus rapidement. Finalement, ce temps de réflexion a permis de mûrir la décision. Celle-ci n’a pas été facile à prendre, car on évoluait entre des ressentis contradictoires. « Alors bizarrement j’y croyais beaucoup plus qu’une version physique, mais je ne croyais pas qu’on allait y arriver aussi bien. » alors que certain.e.s étaient très sceptiques, voire très très sceptiques au départ sur le format à distance.
Les aspects matériels comme le mécénat et le bouclage du budget ont aussi influencé ces décisions pour sécuriser la faisabilité de l’événement. Mais au final, nous avons été surpris de la qualité du résultat en comparaison des moyens engagés et des aléas subis.
Sur l’édition en elle-même, Il y a un consensus pour dire que le résultat est bien au-delà de nos espérances initiales. On parle sans doute d’une édition de la maturité, aussi bien en termes d’organisation que de programmation. Le fil conducteur est mieux défini. Les conférences se répondent et « On va plus en avant. C’est plus clair et plus précis qu'en 2018. ». La variété des intervenants a permis une diversité de points de vue avec peut être des choix plus tranchés dans les thématiques. Mais la difficulté d’avoir des avis plus tranchés aussi c’est d’aborder des sujets tabous, moins politiquement corrects et donc plus clivants. En étant moins consensuel on prend le risque de déplaire à certains sponsors comme des entreprises ou des écoles qui restent sur une communication neutre. Paradoxalement, les sponsors qui nous font confiance, commencent à comprendre l’impact et certains qui étaient en observateur sont maintenant clairement en attente de la prochaine édition.
Sur la semaine de conférence, la perception a été différente entre ceux qui étaient présents sur place à Paris et Marie-Cécile et moi-même qui étions à distance. Karl et Nicolas ont trouvé que la semaine est passée trop vite. Ils étaient près à repartir sur une semaine de conférences supplémentaires ! De notre côté à distance, ça a été plus difficile de suivre les conférences. Certaines journées ont été particulièrement longues quand il fallait enchainer les ateliers puis les conférences, soit plus de 6 heures devant un écran. Ce n’est peut être pas plus mal que nous ayons fait cette expérience qui contrebalance le ressenti de ceux et celles sur le plateau de tournage.
Donc il y a eu aussi quelques frustrations. Certains ateliers ne se sont pas passés comme nous l’aurions souhaité. La problématique est récurrente sur les conférences où certains intervenants ne sont pas en phase avec les attentes du public. On se dit alors qu’on aurait dû passer plus de temps à accompagner la préparation mais un tel projet demande déjà énormément d’investissement, de temps. Et c’est difficilement compatible avec un travail à plein temps ou une famille par exemple. L’absence d’interaction entre participants est aussi une limite de cette conférence à distance. Les moments d’échanges et de convivialité nous ont manqué.e.s. Quand on parle d’éthique et de design, il y aussi toujours des militants qui trouvent que « tout est plus ou moins critiquable » et c’est usant de jamais avoir la grâce aux yeux de ces personnes. Des moments de convivialité permettent aussi d’apaiser ces tensions et de nous récompenser de nos efforts.
Le programme avant, après
En octobre 2019, nous avions établi un pré-programme en essayant de fixer les grandes thématiques à aborder en 2020. Ça a donné le tableau suivant :
Sans rentrer dans le détail de chacune des thématiques, il nous apparaît que certaines ont été traitées mieux que d’autres.
Le rôle et la posture du designer ont été bien abordés, notamment grâce aux réflexions des étudiants qui nous ont rapporté la dissonance qu’ils ressentent entre les enseignements, le marché de l’emploi et leurs valeurs. Ça résonne avec les réflexions de certain.e.s d’entre nous vis-à-vis de la suite de leurs carrières.
La question du bon design est vite résumée : « Le bon designer, il voit figma, il tire, le mauvais, il voit figma, il tire ». Un peu comme la définition de l’éthique qui est devenue une non-question. Des sujets comme les low-techs, la régulation ou le bien commun ont été évoqués par certains intervenants sans pour autant devenir des sujets centraux pour l’instant.
L'environnement a été abordé « pas forcément comme on l’attendait ». On a beaucoup parlé d'anthropocène, d’éco-conception, mais c’est un axe d’amélioration car nous ne sommes pas très à l’aise avec le sujet. Avec la société décroissante, « les Amishs » nous avons le sentiment qu’il faut s’emparer du sujet avec plus de convictions.
L'économie, l’entreprise ont été traité de manière satisfaisante avec des acteurs qui sont venu dire comment ça marchait ou dysfonctionnait. Le caractère pragmatique des retours d’expériences nous ont agréablement surpris. Ce qui nous amène aux réflexions sur la politique, celle-ci étant partout : « on voit bien que la couche politique commence à s’emparer du design. »
En synthèse, un an plus tard tout reste bien aligné, même si nous n’avons pas regardé le pré-programme quand on a établi le programme définitif.
« C’est drôle de voir comment on est aligné. »
Et la prochaine édition de rêve ?
Pour la prochaine édition, une version idéale de Ethics by Design sera sans doute à distance avec plusieurs communautés à plusieurs endroits en France avec la possibilité d’être à la fois distance et d’échanger « pour de vrai » en groupe. La grand-messe dans un lieu unique n’est plus forcément la solution. Par exemple, une grand-messe est synonyme d’un tarif élevé qui sera difficilement justifiable après une édition à un tarif conseillé. Donc cette future édition sera sans doute plus :
radicale et conviviale
En contexte
Quand ton environnement est radical est ce qu’il ne faut pas l’être aussi ?
En octobre 2019, quand nous avons préparé le programme, nous avions évoqué lors d’une discussion badine, le possible effondrement à venir. Plus d’un an après, on fait le constat qu’on attendait d’abord une crise financière et non une crise sanitaire. Ça nous apprend qu’il est difficile d’anticiper l’avenir. L’effondrement était jusque là une vision lointaine vraisemblablement à 10 ans.
« Dans une société, une culture, une fille de boomer, le progrès est infini, les seuls risques sont les extraterrestres… Non, je ne l’imaginais pas comme ça, … »
Alors on peut faire du design prospectif ? Ça peut paraître tellement dystopique, mais c’est un sujet à aborder, il faut s’y confronter et ça n’a rien d’évident. Pour l’instant, on essaye encore de faire comme avant. Le paradoxe, c’est que l’on part en vrille, mais on arrive encore à faire des conférences de design ?
Cette conférence dans ce contexte permet aussi de prendre du recul en essayant d’aborder le monde d’une meilleure façon. Elle permet des rencontres entre des gens plus militants avec des valeurs similaires. Ça peut être rassurant et aussi stimulant pour imaginer la suite de son métier de designer. Designer, c’est un métier très dans le mental et le besoin de retourner vers le concret se fait sentir.
La prochaine question
À la fin de chaque entretien je demandais de poser une question pour la personne suivante. Cela donne cette chaîne de questions, réponses.
Karl à Nicolas :
- Est ce que tu veux participer à l’organisation de la prochaine édition ?
- Clairement oui
Nicolas à Dominique :
- Est ce que tu te vois encore comme designer dans 10 ans ? Est ce qu’il n’y aurait pas un autre métier plus important à faire ?
- Ma carrière, c’est selon les opportunités, oui je travaillerai toujours dans le numérique car ça me plait, maintenant je ne me considère pas designer, mais dans 10 ans je souhaiterai faire plus de design prospectif.
Dominique à Marie-Cécile :
- Marie-Cécile, est ce que tu serais partante pour participer à l’organisation du prochaine événement, avec des questions beaucoup plus techno-critiques ?
- Ah oui, 200 % ! Oui, je serai partante pour une nouvelle édition avec des questions beaucoup plus techno-critiques. J’ai la sensation que cette édition 2020 a été plutôt rondement menée. On a été là, on a eu l'audace. On est allé vers des sujets un peu plus techniques, un peu plus profonds. J'ai la sensation que l'audience est là et que, de plus en plus, il va falloir aussi amener un point de vue beaucoup plus techno-critique.
Marie-Cécile à Mellie :
- Je voudrais savoir quelles différences tu ressens dans ta vie pro et perso depuis que tu fais partie de Designers Éthiques et depuis cette édition de EbyD ?
- C'est une bonne question… Pour le côté pro, j'ai rejoint l'association en 2017-18. J’étais sensibilisée car je faisais un mémoire sur l’attention, mais Designers Éthiques m’a permis d’avoir une liberté sur ces sujets, avec une liberté d’esprit. Ça m’a permis d’évoluer dans mes deux emplois en intégrant la notion d'éthique et responsabilité dans mes actions de designer. Au niveau personnel, ça m'a amené à réfléchir à mon impact dans les différents sphères de ma vie, du choix du fournisseur d'électricité, au choix de ma banque... Ça amène à développer une conscience globale. L'arrivée chez DE a été un moment de transformation.
Mellie à Karl :
- Que lui a amené personnellement et professionnellement cette édition 2020 et comment il se projette dans son parcours dans les prochains mois ou années ?
- En réponse courte, on peut dire que ça a renforcé mon expérience de gestion de projet et mon envie de continuer à travailler sur de la production de contenu à destination des professionnels. Sur la seconde partie de la question, difficile d'y répondre si ce n’est que ça fait partie des grandes questions que je me pose (comme beaucoup, mais bon, de mon côté j’ai une échéance de fin de thèse) !
En conclusion de la conclusion
J'ai bien l’impression que l’on a été pionnier dans l’organisation d’une conférence en ligne. Le monumental retour d’expérience écrit, notamment par Karl, montre bien l’importance du parcours effectué. Ça faisait plusieurs années que nous évoquions, au sein des équipes d’organisations que je côtoie, la nécessité de renouveler le format classique de la « grand-messe ». Je crois que cette année 2020 a posé les contraintes nous permettant d’évoluer et de nous adapter à de nouveaux défis à propos du design et de l’éthique.