Organisation de Ethics by design 2020 - REX

6 - Et vous, qu'en avez-vous pensé ?

Contexte sanitaire oblige, cette édition 2020 de Ethics by Design a été très particulière, notamment parce qu’elle a dû se faire intégralement en distanciel. Dans les 6 précédents articles, nous avons pu aborder différents aspects de l’organisation, en amont de l’événement (son modèle économique, les outils que nous avons été amenés à utiliser…) et de la façon dont nous avons pu nous adapter pour composer avec ce contexte.
Dans ce 7ème (et avant-dernier) article, nous souhaitions revenir sur l’expérience qu’on pu vivre les participant·es. En effet, au-delà de notre propre organisation, ce format en distanciel a nécessairement entraîné un rapport à l’événement bien différent de ce que nous avons pu connaître lors des précédentes éditions au format plus classique, avec une ou plusieurs journées en présentiel, dans un lieu donné.
Au cours de l’événement, nous nous sommes ainsi vite rendus compte que, sur le total tout confondu de 1200 billets réservés pour l’événement, tou·tes les participant·es n’ont pas participé de la même manière. Certain·es ont "picoré" dans les conférences et ateliers tout au long de l’événement, tandis que d’autres avaient visiblement choisi une journée en particulier, voire même une conférence en particulier.
Si les premiers échos que nous avons pu avoir durant l’événement nous apportaient de premières pistes, nous avons souhaité récolter des retours plus précis en envoyant un questionnaire détaillé aux participant·es, afin de comprendre comment cette expérience avait pu être modifiée, ce qui avait pu marcher à distance, ce qui avait pu être plus compliqué ou dégradé.
Un sondage LimeSurvey a ainsi été partagé à l’ensemble des participant·es, nous permettant de recevoir 100 réponses individuelles sur des aspects quantitatifs (proportion des conférences suivies, niveau de satisfaction des différents formats, prix payé, etc.) et qualitatifs (attentes initiales, problèmes rencontrés, etc.).

Le difficile équilibre entre pratique et vision conceptuelle

Une partie importante du questionnaire portait assez naturellement sur le contenu de l’événement (conférences, table-rondes et ateliers). Au-delà de l’intérêt que pouvait avoir telle ou telle conférence en particulier, un grand nombre des retours insistaient sur la valeur qu’avait pu avoir la cohérence globale de l’événement. Beaucoup évoquaient ainsi l’intérêt de voir les thèmes et conférences se croiser et se répondre, notamment du fait de la variété des intervenant·es (designers practicien·nes, mais également chercheur·ses, philosophes, étudiant·es, etc.). Une variété des intervenant·es qui s’est donc aussi traduite par une grande variété des points de vue sur les différentes thématiques, en fonction de la position qu’ils/elles occupaient, de leur expérience et de leurs engagements.
Avec Ethics by Design, notre parti pris est de chercher à faire dialoguer théorie et pratique, à rapprocher recherche et action, et à créer des liens entre les disciplines et positions de chacun·e. Ce dialogue entre théorie réflexive et pratique est semble-t-il assez exceptionnel dans l’écosystème des conférences pour professionnels du numérique. En plus des témoignages et retours d’expérience de practicien·nes, nous proposons donc des conférences de chercheur·ses explorant de nouvelles formes de pratiques en design.
L’un des enjeux soulevés dans les retours des utilisateurs est le caractère atypique de cette démarche. Si elle a été appréciée par une grande partie des participant·es, elle en déstabilise également une autre partie.
Ce qui amène à une réflexion sur l’importance d’un programme équilibré de ce point de vue, qui n’oublie personne, aborde des enjeux pratiques tout en sortant une partie des utilisateurs de leur zone de confort.

Un format en distanciel, parfois difficile à suivre...

Le sujet du distanciel est en effet remonté comme un problème récurrent, complexifiant beaucoup de choses pour les participant·es et rendant de façon générale l’événement plus difficile à suivre :

  • du fait de la difficulté à rester concentré·e sur des formats longs à distance, surtout en fin de journée après avoir déjà suivi 3h de direct (alors que pour certain·es “il s’agissait pourtant des confs les plus intéressantes”);
  • dans le cadre des ateliers, où le distanciel rendait particulièrement complexe toute tentative de mise en pratique, au risque de très vite bien plus faire ressembler ces ateliers à des mini-conférences qu’à de véritables moments d’échanges et de co-construction;
  • de part le manque d’interaction, inhérent au virtuel : notamment dans l’impossibilité pour les participant·es de se rencontrer et d'échanger entre eux, en dehors des questions / réponses ou débats lors des conférences.

En participant à un tel événement à distance, difficile en effet pour les participant·es de “faire lien” et de ne pas se retrouver dans une position purement passive, en assistant plus qu’en participant. Or, sans contact physique, sans lieu où se retrouver, difficile de se sentir comme faisant partie de la discussion.

...d’où l’importance de créer un “espace” immersif, même à distance

Dans ce contexte, nous avons eu des retours très intéressants sur le live de l’événement. Beaucoup de participant·es évoquaient ainsi de façon très positive la qualité du live (mené avec brio par synchrone.tv) qui a permis de “rendre l'événement dynamique” et d’avoir malgré tout “une impression d'immersion dans un endroit réel, qu'on retrouve tous les jours”.
Un effort particulier avait en effet été mis de notre côté sur le cadre (notamment l’atmosphère qui s’en dégageait) et sur l’animation, en cherchant à donner autant que possible le sentiment de suivre une discussion à laquelle il était possible de se joindre, de poser des questions, de réagir, en somme de faire partie, plutôt que d’être simplement en train d’assister à une énième visioconférence passive.

Mais le distanciel a aussi des vertus !

Si ces retours sont peu surprenants, il était plus étonnant de lire les avantages que certain·es y voient. Plusieurs expriment ainsi qu’ils/elles n’auraient pas pu y assister si l’événement n’avait pas été organisé en distanciel, ou tout du moins retransmis en ligne. Même si nous avions initialement prévu d’organiser cette édition en présentiel, à Lille, une part conséquente des participant·es auraient certainement étaient exclus : pour toutes celles et ceux n’habitant pas à proximité bien sûr (pour qui le coût du déplacement et de l’hébergement auraient été extrêment prohibitif), mais également plus simplement pour celles et ceux habitant Lille et sa région de part la difficulté à libérer sa journée (ou demie-journée) !
La possibilité de se connecter pour rejoindre le live sans contrainte, selon ses disponibilités, permettaient donc un accès simplifié pour un public beaucoup plus large. De la même façon, l’asynchrone (permis par l’enregistrement des sessions) semble répondre à un besoin considérable : pour celles et ceux qui savaient d’emblée qu’ils/elles ne pourraient se libérer, mais aussi pour toutes celles et ceux qui ont dû faire face à des obligations de dernière minute (réunions, charge de travail, enfants…). Soyons en effet très clair : être en mesure de pouvoir dégager plusieurs heures en pleine journée est un réel privilège. Si le distanciel pose donc de nombreux problèmes (notamment par son manque “d’interactivité”), il a aussi de vraies vertus en termes d’accessibilité sociale, l’ouvrant à des personnes qui en auraient sinon clairement été exclues... bien malgré nous !
Cette question de l’accessibilité sociale de l’événement se retrouve aussi directement dans la question du prix, autre grand point évoqué dans le questionnaire.

Alors, l'événement valait-il son prix ?

Dans le 3ème article de ce retour d’expérience, nous avions déjà pu évoquer la question du billet à prix “conseillé mais libre” (prix conseillé de 50€, mais choix laissé aux participant·es de payer plus… ou moins). En partageant les statistiques de la billetterie, nous faisions alors le constat que les participant·es avaient largement joué le jeu de ce billet à prix libre, nous permettant d’une part d’entrer dans nos frais, mais également d’ouvrir l’événement à d’autres publics (qui pouvaient ainsi contribuer à hauteur de leurs moyens ou de ce qu’ils/elles considéraient comme un prix légitime pour l’événement).
Au travers de ce questionnaire post-événement, nous avons alors cherché à savoir si le prix payé avait finalement semblé justifié aux participant·es. Des retours que nous avons pu avoir, il ressort que ce prix “conseillé” a non seulement semblé justifié, mais également qu’avec du recul plusieurs participant·es auraient souhaité avoir payé plus. Pour un grand nombre de participant·es, le prix payé constitue d’ailleurs un moyen de soutenir l’association et son activité, au-delà de la valeur que pourrait avoir l’événement en lui-même. Pour les participant·es ayant pu se le permettre, cela a alors d’autant plus contribuer à justifier de payer un prix supérieur au prix “conseillé”.
Par ailleurs, ce fonctionnement par prix libre a plusieurs fois été décrit comme une forme d’engagement utile, permettant l’accès de l’événement à un plus grand nombre. Ce prix libre permettrait de “soulever les barrières des évènements élitistes, payés seulement par les entreprises” et offrirait ainsi “plus d'accessibilité des sujets traités pour faire passer le message plus largement” (rappelons en effet que le billet d’entrée à ces événements professionnels dépasse souvent très largement les 200€ la journée). Au-delà des frais (réels) et du travail (conséquent et coûteux) de préparation derrière, cela pose malgré tout nécessairement la question de l’accessibilité de tels événements pour celles et ceux n’ayant pas le privilège de pouvoir s’y rendre pour le compte d’une entreprise… risquant donc de limiter les participant·es à certains types de publics et excluant de fait les autres.

Après Ethics by Design 2020, quelles leçons et perspectives pour la suite ?

De tous les retours et réflexions que nous avons pu partager ici, nous garderons assurément bon nombre de leçons pour la suite, bien au-delà des seuls sujets liés à la situation sanitaire. En effet, comme en témoignent les retours des participant·es, le distanciel ne présente pas que des inconvénients… et ce serait certainement oublier toutes celles et tous ceux qui ne peuvent accéder à un format présentiel “classique” que de vouloir revenir à la “normale”. Cela nous encourage plutôt à imaginer d’autres formats, pouvant puiser le meilleur des deux mondes.
Ainsi, si cette année 2020 a été marquée par l’annulation, le report ou des versions “dégradées” de beaucoup d’événements, nous pouvons imaginer (espérer) qu’en 2021, 2022, les événements pourront être organisés en se ré-inventant et en imaginant des formats hybrides. Au moment d’écrire ces lignes, l’événement annuel UX London 2021 vient tout juste d’être annoncé… sous une version un peu différente. En lieu et place des traditionnelles 3 journées de conférences et d’ateliers en présentiel, l’équipe d’organisation propose ainsi un format complètement en ligne, s’étalant sur une durée d’un mois, mêlant direct et asynchrone, et offrant des temps spécialement aménagés pour permettre, malgré la distance, la rencontre et l’échange entre les participant·es. Pour un prix - un peu - plus faible.
Difficile de prédire grand-chose sur le contexte dans lequel la prochaine édition de Ethics by Design sera amenée à se tenir, mais il est certain que ces questionnements nous amènerons à repenser beaucoup de choses sur le format et le modèle de l’événement.
Loin de se résumer à une simple question technique ou organisationnelle, cela nous invite en réalité à nous interroger sur ce que peut et doit être un événement comme celui-ci : à qui s’adresse-t-il ? dans quoi s’ancre-t-il ? qui cherche-t-on à mettre en lien ? comment faire ce lien et inclure ces publics ? à quelles dynamiques cherchons-nous à contribuer ? et finalement... comment y contribuer ?
Dans sa conférence à Ethics by Desin, Pierre-Yves Gosset appelait à s’interroger sur la façon dont, en tant que collectif, nous souhaitions “participer au changement”. Alors quelle place Ethics by Design peut et doit trouver face aux enjeux que nous affrontons collectivement ? Nous en reparlerons la semaine prochaine, dans le dernier article de cette série : nous y partagerons, en guise de conclusion, nos propres ressentis et réflexions sur cette édition de Ethics by Design... et nos interrogations sur la suite. Alors, à lundi prochain !