Designers Éthiques adopte une gouvernance partagée - REX

En octobre 2023, les 14 membres de l’association se sont réunis en Assemblée générale extraordinaire et ont voté une nouvelle version des statuts de l’association (et le Règlement intérieur qui va avec). Ces statuts changent profondément l’architecture de gouvernance de l’association pour s’orienter vers une gouvernance partagée. Retour d’expérience sur deux ans de réflexions et de ré-écriture des statuts de l’association.

Ça ne se voit pas comme ça mais chez Designers Éthiques, le changement c’est maintenant ! Alors non, nous n’allons pas nous lancer dans une campagne politique, même si nos actions sont politiques et que nous le valons bien ! Nous avons plus prosaïquement fait évoluer les statuts de l’association pour les adapter à nos pratiques et à la maturité de notre organisation.

Petite histoire de la gouvernance de l’association

Alors pourquoi un matin, en buvant le café et mangeant des chocolatines, nous sommes-nous dit : “Hé il faut qu’on récrive nos statuts, allez, ça va prendre 5 minutes ou presque, sortons un bout de papier” ?

En vérité, l’histoire est un peu longue et commence avec la création de l’association, en 2017. À ce moment-là, les trois fondateurs de l’association (Jérémie, Karl et Thibault) adoptent une posture assez courante chez les jeunes associations : interdire les adhésions pour maîtriser la gouvernance de l’association, et partager à part égale le titre de “co-président”. L’association a des bénéficiaires, mais pas d’adhérents.

Fin 2018, après la deuxième édition de Ethics by design, l’association connaît sa seconde phase de gouvernance. L’association s’ouvre à d’autres adhérents (jusqu’à une centaine). Jérémie et Thibault quittent l’association, et Mellie entre au bureau. Un an plus tard, l’association se dote d’un Conseil d’Administration, ayant pour objectif initial d’être un endroit d’échange entre les membres actifs de l’association. Designers Éthiques a alors une gouvernance classique que connaissent nombre d’associations : Conseil d’Administration, Bureau et corps des adhérents. S’y ajoutent des structures filles, des associations “antennes” dans certaines villes : Bretagne (Sabine, Lucie, Flora) et Lyon (Clémence, Léopoldine).

On en déduit à l’époque le modèle d’engagement suivant, de notre communauté à nos organes décisionnaires, un modèle finalement très pyramidal :

Matrice d'engagement de l'association en 2022

En 2021, les membres de l’association initient une (désormais) coutume : se retrouver une fois par an en Week-end associatif. Hé oui, parce que le reste du temps on ne se voit pas étant dispersés sur toute la France (et même en Belgique) ! À cette occasion, nous missionnons Yaël Benayoun (coucou le Mouton) et Morgane Chevalier (coucou Praticable) pour faire un audit organisationnel de l’association. Pour la petite histoire, Yaël nous dit à ce moment-là qu’il faudra un mois pour qu’on digère le résultat de l’audit… Ça nous a pris 2 ans ! D’ailleurs, ça nous a incité à lancer un podcast sur ces sujets

On ne peut que vous conseiller de faire cet exercice d’audit organisationnel. Celui-ci nous permet d’identifier les forces de l’association mais aussi les non-dits entre les membres et les enjeux qui s’annoncent à nous dans les années à venir. Vous pouvez retrouver ici le rapport de cet audit, que nous décidons de publier aujourd’hui. Si le Bureau de l’époque ne partage pas l’intégralité de l’analyse, il est une source précieuse pour débuter un long chemin et redonner une direction à l’association, qui en manque alors…

Cet audit tombe également à pic puisque c’est aussi le moment où l’association initie un repositionnement important à travers l’élargissement de son activité (à la recherche et à la formation) et à travers la professionnalisation d’une partie de ses activités. Anne devient notamment salariée à temps partiel de l’association. Plusieurs membres deviennent prestataires récurrents de l’association, notamment Aurélie et Anne-Sophie. Mellie et Karl sont également rémunérés pour assurer le développement de l’association.

Après cet état des lieux, nous engageons un premier travail interne où nous commençons par redéfinir la raison d’être de l’association, ses objectifs et ses modes d’action. Cela nous amène à formaliser les axes d’action que nous développons aujourd’hui : la production de ressources et de recherche, la formation, et l’alimentation des communautés autour des enjeux éthiques du numérique, à travers un prisme design.

À la fin de ce travail, arrive l’idée de refondre la gouvernance de celle-ci, en « compostant » la gouvernance actuelle (pour reprendre le concept appliqué par Framasoft). Nous faisons alors le constat que la pérennité de l’association ne pourra passer que par une meilleure répartition des charges au sein de l’association. Le burn-out militant est une réalité qu’on ne souhaiterait pas voir se réaliser chez nous. Bon, dans les faits, on n’a probablement pas réduit la charge par membre, on a plutôt fait grossir l’activité de l’association. Mais l’idée était là. En avril 2023, nous initions donc un travail de refonte de nos statuts, principalement à 10 mains, celles de : Anne, Mellie, Karl, Raphaël et Pascal.

Une gouvernance basée sur l’horizontalité

Au moment de faire des choix de gouvernance, nous décidons de repartir d’une page blanche, tout en collant au plus à la réalité de notre organisation actuelle. Parmi les modèles que dont nous nous inspirons au moment de la rédaction, citons quelques structures que nous regardons : 

  • L’espace de coworking de Raphaël, le coworking Pays basque, qui a notamment un système d’échelle de prise de décision comme ce que nous mettons en place ;
  • Les statuts et le règlement intérieur de la Fondation Marius Jacob qui fonctionne en autogestion ;
  • L’article Comment organiser le faire ensemble ? publié suite à un échange dans la communauté coopcity, qui définit des modalités d’engagement (informer, consulter, concerter, co-décider) dont nous nous inspirons ;
  • ou encore Framasoft dans le modèle d’adhésion par cooptation que nous choisissons.

Tout ça pour dire que nous n’inventons pas tout ce que nous mettons en place, mais plutôt que nous allons piocher à gauche et à droite des modèles qui nous intéressent. Partant de là, nous rédigeons ces statuts autour de trois grands choix.

Choix numéro 1 : une organisation par cercle, pour coller à la réalité de notre fonctionnement

L’un des points importants par lequel nous commençons nos travaux de réécriture des statuts est la volonté que ceux-ci collent au fonctionnement réel de l’association. 

Celle-ci s’organise par groupe autour de sujets ou projets spécifiques : un groupe pour l’événement Ethics by design, un autre pour la recherche sur l’écoconception, un autre pour chaque antenne de l’association, etc. Cette organisation nous permet d’être souple en laissant les membres de l’association mener leur projet sans nécessité d’attendre l’intégralité du groupe pour agir. Cela nous permet également de gérer les capacités variables d’engagement dans l’association entre celleux qui y consacrent quelques heures ponctuellement, et celleux pour qui il s’agit d’une activité professionnelle.

Nous mettons donc en œuvre une organisation par cercles, chaque cercle étant dédié à un projet ou une activité de l’association. Au sein de chaque cercle, l’organisation des membres est libre mais ces derniers doivent informer le reste des membres de l’avancée de leurs travaux. Chaque cercle est animé par un·e facilitateurice qui a pour rôle de le faire vivre.

Autrement dit, nos statuts ne prévoient pas de structures de gouvernance hiérarchisées. Les adhérents peuvent se réunir en Assemblée générale (ponctuelle) ou en Cercle de coordination (régulier). Certaines tâches de l’association bénéficient de cercles spécifiques (RH, stratégie, direction de la formation…).

Choix numéro 2 : des adhérents égaux et cooptés

Puisqu’au sein des cercles, les membres ont un poids décisionnel équivalent, et qu’il n’y a pas de hiérarchie entre les cercles, cela induit donc que nos statuts ne prévoient pas de hiérarchie entre les membres. Chaque adhérent·e de l’association a donc le même poids décisionnel et peut ainsi s’investir dans les cercles de son choix au sein de l’association, qu’il s’agisse de projets de recherche, de formation, d’organisation événementielle ou de coordination de l’association.

En lien avec ce choix, nous fermons le système d’adhésion de l’association, afin de ne pas avoir à gérer une foule de membres passifs. Pour devenir adhérent·e de l’association, il est maintenant nécessaire de s'intégrer progressivement au groupe des membres actifs de celle-ci, puis d’être coopté·e au bout de quelques mois / années par les adhérents actuels. À l’heure actuelle, nous sommes 14 adhérent·es.

Choix numéro 3 : une prise de décision par consentement, dépendante de l’importance de la décision

Partant de là, comment prend-t-on nos décisions à 14 sans hiérarchie ? Nous avons mis en place un système de prise de décision par consentement et par échelle de décision.

Par consentement, c’est-à-dire qu’une décision est actée si personne ne s’y oppose ou si tout le monde peut vivre avec. Le but n’est pas d’avoir l’accord de tous, mais de n’avoir aucun désaccord et de laisser le droit aux membres de ne pas avoir d’avis. Les porteur·ses de la décision présentent ses tenants et aboutissants. Les autres membres peuvent poser des questions ou faire valoir des objections. La discussion permet d’amender le projet et de rebondir afin de converger vers une version plus élégante.

Pour ne pas submerger tout le monde avec des prises de décisions constantes, nous avons défini une échelle de décisions. Nous faisons la différence entre les décisions opérationnelles (exemple : déterminer la date d’un événement), les décisions de coordination (exemple : la création d’un nouveau projet) et les décisions stratégiques (exemple : le positionnement de l’association). En fonction, nous indiquons qui doit se prononcer, et à quel stade, selon le tableau suivant :

Dimension d’une décision Échelon du Cercle Échelon du Cercle de coordination Échelon des Adhérent·es Échelon de la Communauté
Stratégique non non Co-décide Informe
Coordination non Co-décide Concerte Informe
Opérationnel Co-décide Concerte Consulte Informe

Vous noterez que la logique de consentement est découpée en quatre modes d’engagement :

  • Co-décider : parvenir à une décision ensemble ;
  • Concerter : discuter la décision avant de la prendre. La décision doit alors être cohérente et alignée avec l’opinion des personnes concertées ;
  • Consulter : Recueillir l'avis des personnes consultées. Ce dernier peut cependant être jugé irrecevable à la discrétion des porteurs de la décision. Les personnes consultées ont le droit d'exprimer un désaccord ;
  • Informer : rendre l'information accessible et compréhensible ;

In fine, notre modèle d’engagement ressemble aujourd’hui à ça. Si les cercles externes ont peu évolué (notre audience et nos “membres amis”), nous avons revu les deux premières formes d’engagement en définissant des membres actifs (les 14 adhérents) et des membres de cercle, c’est-à-dire celles et ceux qui contribuent à la vie de l’association sans en être adhérents. 

Nouvelle matrice d'engagement de l'association après la refonte des statuts

Le marathon de la rédaction

Alors voilà, nous avons de nouveaux statuts ! (Et un nouveau règlement intérieur) Bon, le travail n’est pas fini, puisqu’il nous reste encore à régler quelques points, comme notre charte de valeurs des membres de l’association, formaliser les “rites de passage” au sein de l’association. On en a encore pour quelques mois, voire quelques années !

Parce que oui, si on devait tirer une première conclusion de ce travail, c’est que ça prend du temps tout ça ! Sur l’année 2023, nous avons mené pas moins de 20 réunions d’écriture des statuts, auxquelles il faut ajouter les moments de partage, de débat et d’atelier avec l’ensemble des adhérents durant nos réunions mensuelles de coordination et nos week-ends associatifs. Disons environ 500 heures de bénévolat cumulées sur l’année 2023.

Comme dirait l’autre, la démocratie, ça prend du temps ! Car pendant ces deux ans écoulés entre l’audit organisationnel et le vote de nos nouveaux statuts, ce dont il s’agissait pour nous, c’était de faire les choses dans l’ordre : 

  1. D’abord s’aligner sur la raison d’être : contribuer à un numérique émancipateur, durable et désirable.
  2. Ensuite définir un objectif : encapaciter les designers et les professionnels du numérique, pour initier un mouvement interne au numérique autour de notre raison d’être ;
  3. Puis des moyens : alimenter ces professionnels par des ressources, des événements et de la formation ;
  4. Et enfin un cadre : nos nouveaux statuts, la façon dont nous fonctionnons pour atteindre nos objectifs.

Alors bien sûr, à posteriori, c’est facile de donner du sens à ce processus. On ne va pas vous mentir : au départ, nous ne partons pas du tout avec l’idée de revoir intégralement notre façon de faire. Au début, comme Yaël, on pensait que ça allait nous prendre un mois et juste changer la façon dont on menait nos réunions de Conseil d’Administration !

Longue vie aux Designers Éthiques ! 

Grâce à tout ce travail, nous pensons produire de nombreux effets positifs sur l’association.

En premier lieu, assurer sa pérennité. Désormais, la gouvernance et la gestion de l’association ne repose plus sur son seul Bureau, mais sur l’intégralité des membres. Le système des cercles permet d’amener petit à petit des investissements, des montées en compétences et des passages de relais sur les différents aspects de la gestion associative.

En second lieu, ces statuts nous offrent un équilibre dans la gestion de nos bénévoles et de nos salariés. Ils prennent en compte la variabilité des investissements, en tâchant de créer une place à chacun. La transparence et la souplesse du mode de décision rendent la cohésion du groupe plus forte.

Enfin, ces statuts nous ont enfin permis d’assumer un point sur lequel nous avons longtemps tergiversé : celui de notre processus d’intégration et notre ouverture aux nouveaux venus. Le choix d’un système par cooptation assume l’idée selon laquelle notre association n’a pas vocation à accueillir des dizaines d’adhérents (et donc que nous ne gérons pas une communauté d’adhérents), et enfin que celles et ceux qui rejoignent l’association le font sur la base de projets à porter au sein de l’association.

Alors voilà, nous, on en est contents de nos nouveaux statuts. On espère que cet article vous aura intéressé, et aura donné du grain à moudre à celles et ceux qui sont investis dans la vie associative, et on vous dit à très bientôt sur nos rézosociaux ou dans la vraie vie 👋 !

Signé, les adhérents de Designers Éthiques